• « Apprends-moi un mouton »

    Ceci est un brouillon immonde d'une infime partie du dedans de ma tête dans le désordre et le bazar le plus complet.
    Avec probablement de la contradiction dedans.
    Voilà.

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    Je suis persuadée d’une chose[1] : si on se permet de manger certains animaux plutôt que d’autres et de les exploiter[2], c’est parce qu’on ne les connaît pas assez bien[3].

    C’est un fait et loin d’être un scoop : les espèces qui nous sont très proches ne sont pas consommées, ni tuées, dans nos sociétés[4].

    Il semble y avoir une délimitation nette entre celles-ci et les autres. En effet, nous sommes, pour la majorité d’entre nous, capables de transposer certaines émotions simples (peur, attachement, joie…) sur les animaux qui sont les plus proches de nous au quotidien, souvent implantés au sein de nos foyers, comme les chiens et les chats[5], voire ceux qui sont reconnus très proches de nous, génétiquement parlant, comme les singes par exemple. Nous sommes capables d’empathie envers ces animaux comme nous pourrions l’être, ou presque, envers un autre être humain. Nous trouvons donc généralement inadmissible qu’ils soient maltraités, qu’on les fasse souffrir gratuitement ou que nous les mangions[6]. Parfois, nous nous imaginons ce qu’ils ressentent – quitte à sombrer dans l’anthropomorphisme le plus crasse et nuisible, nous éprouvons de l'amour ou de l'affection pour eux. À nos yeux, ils sont quelqu’un.

    Bizarrement, cette empathie semble être à géométrie variable en fait.

    Pourtant, assez souvent, les personnes les plus virulentes à l’égard de ceux qui maltraitent un chat, un chien[7] n'ont aucun souci à avoir un bon steak bien cuit dans leur assiette, à manger des œufs de poules, sans que ça ne leur pose de problème éthique ou qu’elles ne se posent de questions particulières[8].

    Mais pourquoi une telle différence de traitement entre les quelques espèces que nous caressons et les espèces dont nous consommons les productions ?
    Bizarrement, notre empathie semble bien être à géométrie variable en fait.

    Le choix des espèces que nous consommons ou non est totalement arbitraire et dénué de bon sens. D’une part, nous ne mangeons pas certaines espèces parce que nous considérons que nous n’en avons pas besoin : nous ne mangeons pas de chien, pas de chat, pas de singe par exemple, sans doute en raison de la proximité abordée plus haut. d'autre part, à ces espèces s’ajoutent d’autres (comme le cochon) qui ne sont pas consommées par certains groupes sociaux. Dans d’autres cultures, certains animaux que nous consommons ne le sont pas (le bœuf par une bonne partie de l’Inde par exemple). Le choix des espèces que nous mangeons ou dont nous consommons les produits est donc totalement subjectif, dépendant des époques, des cultures et de multiples caractéristiques sociales. Qu’est-ce qui justifie donc que nous consommions une espèce X alors que c’est une espèce qui ne l’est pas ailleurs ?

    En dehors de cette facette purement « culturelle », c’est plutôt le rapport plus personnel à l’animal qui m’interroge. Il n’est pas rare d’entendre dans la vie courante des (grands-)parents (ou des gens) dire à leurs enfants « Ce n’est qu’un poulet, ce n’est pas très intelligent de toute façon », « c’est qu’un poisson », « oui mais un chien c’est pas pareil en fait, c’est plus intelligent ». Leur infériorité[9], leur supposé degré moindre de conscience ou leur intelligence inférieure dans l’esprit populaire semblent être autant d’arguments (parmi des dizaines d’autres, certes) qui permettent de légitimer leur consommation, voire leur déconsidération, qui permettent d’écarter cette préoccupation de notre esprit.

    Et si nous les connaissions vraiment mal en fait ?

    Je suis arrivée en Master d’éthologie, j’avais déjà une certaine réflexion personnelle[10] sur les thématiques du végétarisme, du véganisme et du spécisme[11]. Mais quand même, j’avais toujours ce vague préjugé selon lequel un piaf (n’)était (qu’)un piaf par exemple. Vaguement consciente qu’aucune espèce est plus intelligente qu’une autre, mais quand même. Enfin vous savez bien. Un poulet c’est pas un chien. Je veux dire, vous comprenez, c’est même pas un mammifère quoi… C’est probablement intéressant, mais pas pour moi merci. Et puis j’ai redécouvert Alex, ses capacités langagières et sa conscience du sens simples des mots. Et puis les cailles. Et puis un cours survolé de bien-être animal en élevage. Et puis j’ai bossé pendant plusieurs mois avec des oiseaux, même si c’était un choix « de secours » parce que j’aurais préféré travailler avec des chevaux, des chiens ou des humains (parce que bon, un oiseau, vous comprenez…). Et finalement, par mon travail, j’ai découvert que ces piafs, ils avaient vraiment leur personnalité, vraiment leurs besoins sociaux, je les ai (trèèèèès longtemps TT) observés, j’ai eu des interactions pseudosociales[12] prolongées avec « mes » piafs, je les ai étudiés théoriquement aussi (le nombre d’articles scientifiques sur les piafs que je me suis paluchée…). Et j’ai aussi pu constater mon impuissance à faire bouger les autres humains pour améliorer leurs conditions de vie, malgré les alertes, et les conséquences que ça avait sur les animaux. De juste « piafs », ces étranges volatiles sont devenus des entités absolument réelles, uniques, pas juste des piafs comme les piafs en général, comme on dit « les gens ». De cette expérience (et d’autres), j’ai finalement appris qu’un piaf, bah non, c’était pas qu’un piaf (nan, je radote ?).
    Maintenant, je vois les oiseaux – tous les oiseaux - sous un autre jour, avec un regard absolument différent. En gros, je les ai « décatégorisés » de leur sous-classe et ils comptent autant que comptent d’autres animaux que je connais mieux.
    Pourquoi ? Parce que j’ai appris à les connaître.
    Or, le poulet dans mon assiette n’est pas très différent de ces étourneaux avec qui j’ai travaillé. Je ne mange pas l’étourneau, pourquoi mangerais-je donc ce poulet ? et le raisonnement tient avec les autres espèces.

    Avec mes études, notamment les deux dernières années, j’ai appris d’autres trucs[13], sur d’autres espèces, même si certaines notions ont été survolées, comme celles du bien-être animal en élevage[14]. Pour ne prendre qu'un exemple, savez-vous que les veaux dont nous mangeons la viande (blanche) sont intentionnellement anémiés ? En effet, le foin qui devrait être leur aliment de base est riche en fer. Or, le fer, ça se fixe sur l'hémoglobine. Or, l'hémoglobine, c'est rouge. Et le consommateur n'aime pas trop ça, le rouge (vous comprenez, ça rappelle le sang alors...). Qu'à cela ne tienne, on va juste ne pas leur donner leur alimentation naturelle et les carencer volontairement en fer, et le problème sera réglé, on aura de la belle viande blanche !

    Sur le plan de l'« intelligence » (il y aurait tellement à dire sur ce terme), qui sait qu’un poussin est capable de compter jusqu’à 5 dès sa naissance ? Que le poisson est capable de ressentir douleur et souffrance, sans compter que ses organes peuvent être endommagés par l’absence de paliers de décompression quand il est pêché par exemple ? Que le cochon a une vie sociale extrêmement riche, que c’est un besoin d’interagir avec des congénères comme nous avons le besoin d’avoir notre cercle social ? que multitude d’animaux d’élevage, jugés stupides, rabaissés, nous sont en fait extrêmement proches sous bien des aspects ?

    Je suis persuadée que la connaissance du comportement des espèces animales nous les rend plus familières. Elle rapproche les espèces socialement « lointaines » ou « invisibles » de nous, nous rend leur existence moins abstraite.

    Nous connaissons bien les chats, les chiens, nous sommes capables de dire ce dont ils sont capables ou incapables, de leur reconnaître une personnalité même sans en avoir personnellement côtoyé. Cela relève de la connaissance commune : nous les connaissons. Ils sont quelqu’un. Avec une conscience, une personnalité, un vécu. Certains croiseront le chemin d’un lapin domestique, et refusent ensuite d’en manger, tout comme d’autres, après avoir côtoyé des chevaux, refusent d’en manger. Pourquoi ?

    Quand apprendrons-nous enfin à connaître les animaux que nous avons dans nos assiettes ?

    « Apprends-moi un mouton »
    Et si ce veau n'était pas qu'un veau ?

     

     

    Bref, tout ça à la base c’était pour dire que je suivais un MOOC sur les poulets.
    Oui.
    TOUT ÇA (mal écrit, brouillon, qui sera sans doute réécrit autrement, remanié plus tard dans un autre billet mieux rédigé) pour ça.

     

     

    [1] À cet instant précis ; opinion soumise à conditions et évolution, non contractuelle. Il est également possible de trouver moins cher ailleurs et de ne pas vous rembourser la différence.

    [2] Si on est amateur ou amatrice de vocabulaire, le terme adéquat est donc spécisme.

    [3] Mon propos n’est pas ici de discuter de l’utilité de consommer de la viande ou non ; plutôt de s’interroger sur le pourquoi nous nous autorisons à consommer la production de certaines espèces et pas d’autres.

    [4] « Le facteur déterminant, c'est la distance, socialement construite, qui sépare les humains de certains animaux. Ceux que nous admettons dans notre environnement proche ne sauraient être tués ni mangés. Toutes les sociétés, sous des formes et à des degrés divers, pratiquent ce traitement différencié. Y compris celles des chasseurs-collecteurs [personnes vivant principalement de la chasse et de la cueillette], dont l'exemple est éclairant. » sur Le Monde

    [5] J’exclus volontairement tout ce qui est NAC : lapins, cochons d’inde… les conditions relatives à leur bien-être et l’importance de celui-ci étant encore souvent sous-estimées par bien des « maîtres » ou humains. Quant aux chevaux, je trouve que leur statut affectif est tellement variable que je les exclus également. Allez zou :-P !

    [6] Je parle d’un point de vue absolument occidentalo-centré et moderne. En d'autres mots : c'est une vision nombriliste :D.

    [7] Par exemple, il suffit de parcourir certaines pages de Facebook ou des journaux régionaux en réaction à des cas de maltraitance animale des déclarations d'amour du genre « il mérite ke de crever » balancé par votre voisine Sylvette qui vous offre des biscuits à chaque Noël... Une bonne raison pour perdre doublement foi en l'humanité en somme.

    [8] Pourtant, quand on se penche objectivement (voir plus loin) sur la question, des problèmes éthiques, ça en pose. Des TAS.

    [9] Aux animaux. Pas aux enfants. Du moins ici.

    [10] Non pas qu’elle ait été super avancée, et tout. Mais déjà, elle existait. Perso, je trouve que c'est pas négligeable.

    [11] Quelle chance d’avoir eu une correspondante végane pour me faire turbiner le cerveau.
    Même si ça n’a pas été suivi d’effets immédiatement, et que je suis toujours en devenir.

    [12] Une interaction sociale se caractérise par une interaction entre deux individus de la même espèce. Une interaction interspécifique (entre deux espèces différentes) est dite pseudosociale.

    [13] Il est tout à fait vrai de penser que même sans faire ces études, j’aurais pu être au courant de ces pratiques, et j’en connaissais certaines d’ailleurs. Mais voilà : « apprendre » une information de manière objective et neutre (comme ici, dans le cadre académique, lors d’un cours sur le sujet) a plus d’impact sur moi que voir passer des informations émanant de sources partisanes. En d’autres termes, pour modifier mon comportement ou ma pensée, une information apportée de manière rationnelle, neutre et objective a plus d’impact qu’une information émotionnelle et partisane.
    Même si c'est critiquable et que dans certains cas, une information objective (exemple bateau : dire que le réchauffement climatique existe peut être perçu par certains comme partisan).

    [14] Ne riez pas au fond. Je vous ai entendus.

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