• Finalement, je ne suis pas Charlie

    Avertissement : ceci est un pavé indigeste.
    Toute responsabilité sera déclinée en cas de gastro foudroyante.

     

    Évidemment, on ne peut qu'être désolés des évènements qui se sont produits le et après le 7 janvier. Évidemment, on ne peut que compatir à la peine éprouvée par ces proches qui avaient dit à ce soir à ceux qu'ils n'auront plus jamais revus. Il ne doit rien y avoir de plus horrible que de se voir arracher des personnes chères aussi brutalement. Et je dis ça sans ironie.
    Mais quelque chose me choque tout de même dans les réactions qui se sont produites ensuite. Quelque chose qui me fait dire qu'après réflexion, finalement, non, je ne suis pas Charlie.

    Et ce n'est même pas de la provocation.

    Flash-back : 7 janvier au soir, des (centaines de) milliers de gens armés de stylos et de pancartes se réunissent à travers la France sur les places phares de leurs villes.
    Ainsi donc, ce que j'avais vaguement vu défiler dans mon flux du Monde avait l'air grave (pour moi, c'en était resté jusque là à une fusillade : pas mal de morts dans un journal en France). Non, on parlait carrément d'attentats. Hein ? Dans ma tête, un attentat, c'était jusque là les World Trade Center et le 11/9, les gens qui sautent dans le vide du 126ème étage, où dans le meilleur des cas, des la tête en sang recouverte de poussière, et cet homme dressant une photo à la main, à la recherche de sa fille perdue quelque part dans les tours (non, sérieux, cette photo m'a traumatisée). Soit : ma terminologie semblait visiblement erronée.
    Mais, quelque soit l'ampleur de l'évènement et le mot de vocabulaire employé, nous serons d'accord que ce qui s'est passé est absolument inacceptable.

    Se sont enchaînées manifestations sur manifestations, en soutien au journal et pour la réaffirmation de leur soutien à la liberté d'expression. Des manifestations suivies par un nombre écrasant de gens, et d'ailleurs, pas seulement en France.
    Parmi eux, beaucoup clamaient "Je suis Charlie". Je vais y revenir.

    Ne nous trompons pas : je trouve ça bien moi, que même lorsque les idées peuvent (pas mal) déranger, on soutienne tout de même leur liberté d'expression, y compris quand on n'y adhère pas. Et rien ne justifie que l'on puisse mourir à cause de ses idées. Jamais.

    Tout d'abord, je suis étonnée que les gens aient justement été étonnés par ces attentats.
    Euuuuh, sérieusement, ils s'attendaient à ce qu'on balance des bonbons sur les vitres des journaux par exemple ? On sait depuis des lustres (au moins depuis 2001 ; avant, je sais pas, je m'y intéressais pas et j'étais encore plus nain que nain) que l'Occident est exposé à des risques importants d'attentats de toute sorte (dont ceux perpétrés par des islamistes radicaux).
    Donc, à quoi les gens pensaient ? Que parce qu'on était en France, on était pénards, attablés à une table de vin et de saucisson à la bonne franquette ? Qu'on était protégés par des boucliers camemberts-qui-puent croisés kouign-amann anti-terroristes et qu'on se contentait de balancer des olives comme grenades ?

    D'un seul coup, tous ces gens sont devenus des Charlie. Du jour au lendemain (ce n'est plus la baguette magique, c'est la kalachnikov qui chie de l'amour et des paillettes !).
    Toute cette unité (... momentanée ?), on peut trouver ça beau à première vue. Mais je suis partagée. Et si tous ces Charlie n'étaient en fait que des charlots ? Et si cette mobilisation n'était remplie que de faux-culs ?

    Non mais sérieusement, mesdames et messieurs, un peu de bon sens, d'humanité. Vous mobiliser, d'accord, mais soyez cohérents.

    Pourquoi la mort de 12 personnes, en France, nous fait plus d'effet que les morts quotidiennes survenues pour les mêmes raisons de journalistes ou de citoyens du Moyen-Orient par exemple ? En Chine ? Ailleurs ?
    Étrangement, personne ne se mobilise pour ces gens-là. Qui sont pourtant au moins si ce n'est plus méritants (la comparaison me semble risquée, et je ne pense pas que l'on puisse trancher facilement. Disons donc autant). Pourquoi sous prétexte que les victimes étaient françaises et que ça s'est passé juste à côté de chez nous, on leur accorde plus d'importance qu'à toutes les autres qui meurent exactement pour les mêmes raisons ailleurs ? C'est quoi une nationalité (qu'on acquiert le plus souvent totalement par hasard de la biologie hein) pour que ça prime autant sur la notion d'humanité ?
    C'est comme pour les accidents d'avions, les victoires sportives (les gens aiment se sentir inclus dans la victoire d'une équipe sportive en utilisant un "On a gagné !" alors qu'ils n'y sont clairement pour rien, mais attention, sinon c'est "Ils ont perdu"), les Jeux olympiques, les victimes de conflits : attention, c'est toujours plus grave quand c'est français / sa propre nationalité, hein.
    (non mais ???????)

    Bref.
    Peut-être que le fait que ça se soit passé en France nous fait sortir de notre zone de confort ? nous force à ouvrir les yeux ? nous refait passer le message que non, nous non plus, nous ne sommes pas invulnérables ? que même du fond de notre canapé (imitation) cuir devant notre écran plat, nous sommes tout aussi fragiles que d'autres à l'autre bout du monde (ou juste en face) ?
    Concernant la mobilisation qui a ébranlé la France entière, de part son ampleur exceptionnelle, je suis tout autant mitigée.
    Est-ce qu'elle correspond à des personnes qui ouvriraient enfin les yeux sur la réalité (soyons sympa : mieux vaut tard que jamais) ; à des gens qui veulent se donner bonne conscience ; à une hypocrisie collective ? J'espère sincèrement que c'est la première affirmation qui est la bonne (la moins pire me semble-t-il)

    Un dernier mot à propos des gens qui ne peuvent s'empêcher de dire (ou d'écrire...) que de toute manière, ce qui est arrivés aux victimes de Charlie Hebdo, c'était bien fait, et qu'ils l'avaient tout de même bien cherché.
    On a le droit de penser ce qu'on veut des caricatures en tout genre que ce journal publie. On a le droit de ne pas les aimer, de ne pas partager leurs opinions, de les critiquer, de choisir de ne pas les lire (ça laisse quand même pas mal de choix, non ?).
    Cependant, pouvez-vous raisonnablement penser que mourir pour avoir émis une opinion qui vous dérange, vous ou quelqu'un d'autre (mais avis qui, pourtant, n'incite ni à la haine, ni à la mort) est mérité ou même cherché ?
    Je n'ai qu'un mot à dire : ces personnes là m’écœurent. Point.
    Soyons bien clairs : pour moi, aucune expression (excepté l'incitation à la haine, au crime et à la mort) ne mérite d'être réprimée, et (encore moins !) punie par la mort (les gens favorables à la peine de mort, quel que soit le crime, sont priés de bien vouloir ne pas se manifester ici). Que l'on se moque de personnes, de faits, ou de religions.
    Parce que commencer à imposer des opinions "respectables" et à (s')interdire les opinions moins "respectables", je n'appelle pas cela autrement que de la censure. Et n'est-ce pas par là que beaucoup de périodes sombres de notre Histoire ont commencé ?
    Je ne sais plus qui disait qu'il fallait bien savoir rire de soi-même pour pouvoir bien rire des autres.
    (Fin de la parenthèse)

    Ce qui me reste vraiment en travers de la gorge, c'est que l'on parle et que l'on manifeste pour la liberté d'expression chez nous, en nous croyant au centre du monde, en disant que c'est absolument affreux (oui, c'est affreux. Et ailleurs aussi !), en s'arrêtant quasiment à "Charlie", et en ignorant le reste. Alors que les attentats à la liberté d'expression, c'est partout, et tout le temps.


    Ce billet est certainement très brouillon, incomplet, mal écrit, naïf et j'en passe.

    Donc, j'ai envie de dire que non, je ne suis pas Charlie.
    Et sans doute que vous non plus, même si vous l'avez clamé.

    Nous devrions tous être plus que Charlie.

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