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Par -Anne- le 29 Septembre 2017 à 23:04
(scoop : des fois c'est un peu chaud)
Je viens de publier mon 100ème article sur Wikipédia.
Et sur celui-ci, j'y ai passé du temps. Beaucoup de temps.
Il faisait partie de la liste de sujets que je consigne dans mon carnet spécial et qui n'ont pas encore leur article sur Wikipédia. Souvent, ce sont des trucs assez spécialisés. Parmi eux, beaucoup de sujets qu'on pourrait qualifier de « sociétaux ». Parce que j'ai toujours voulu comprendre la manière dont le monde fonctionnait et que ben, c'est juste des choses passionnantes. Ces potentiels futurs articles figurent donc sur une liste que je conserve précieusement et (je l'avoue un peu honteusement) presque secrètement, parce que j'ai vraiment très envie d'écrire dessus moi-même - parce que je sais que ce sera plutôt bien fait comme ça.
Par exemple, ce centième article, il traite de la grossophobie.
Comme il ne semble pas s'agir d'un vocable familier à toutes les oreilles (je ne m'en suis rendue compte que récemment), la grossophobie désigne l'ensemble des attitudes et des comportements qui stigmatisent et discriminent les personnes grosses (en surpoids ou obèses). Parmi ces comportements, on peut citer les critiques ou les remarques apparemment anodines qui viennent du cercle proche comme d'inconnus, mais qui sont humiliantes (« comment elle peut oser sortir dans cet état », « tu devrais faire attention tu sais », ou entendu « je me demande bien où elle peut acheter ces culottes vu sa taille »). Scoop : dire ça n'a jamais fait maigrir personne, et au contraire, ça augmente même les risques de se tourner vers des comportements à leur tour susceptibles d'aggraver le surpoids. Mais la grossophobie, c'est aussi de la discrimination à l'emploi (accentué chez les femmes, victimes en prime du sexisme - supplément gratuit), durant son activité professionnelle (moins de promotion...), mais ça se produit aussi dès l'école (les professeurs te perçoivent plus bêtes que les élèves minces et ne sont pas avares de remarques blessantes non plus), puis dans l'accès aux études supérieures, ainsi que de la part du corps médical (ce qui entraîne mauvaise prise en charge médicale et peut aboutir à des traumatismes psychologiques).
Ces comportements « grossophobes » proviennent du fait que dans l'imaginaire collectif, l'obésité et le surpoids sont considérés comme les révélateurs d'un laisser-aller, d'un manque de volonté, d'une absence de contrôle sur son alimentation de la part des personnes grosses, qui sont dès lors jugées comme les seules responsables de leur corpulence. Au détriment du fait qu'il s'agisse pourtant d'une situations dont l'origine est multifactorielle : physiologique, comportementale, psychologique, socioéconomique, culturel... Non seulement la grossophobie n'induit aucune perte de poids, mais elle peut avoir des répercussions à la fois physiques et psychologiques particulièrement néfastes, comme l'augmentation du risque de dépression, de troubles du comportement alimentaires, ou des dérèglements physiologiques aboutissant à un stockage plus important des graisses (exemples non exhaustifs)*.
Cela atteint un tel point que parfois, les personnes grosses internalisent elles-mêmes cette grossophobie - tout comme des femmes peuvent internaliser le sexisme ou des personnes racisées peuvent internaliser le racisme qu'elles subissent.(fin de la digression)
Bref, j'ai passé beaucoup de temps sur le sujet.
Je connaissais déjà le terme depuis un an ou deux.
Un jour, j'ai tapé grossophobie pour savoir s'il y avait un article sur Wikipédia.J'ai buggué.
Y'avait pas d'article.
Moi à ce moment-là.
(je sais, je suis pas mal canon en vrai)Le seul article approchant était [[Acceptation des gros]], article à la qualité comment dire, franchement passable.
Ma hantise numéro 1 : que le sujet ne soit pas admissible.
Car sur Wikipédia, si un sujet n'est pas admissible, il peut être proposé à la suppression et un vote détermine si l'article correspond aux critères d'admissibilité ou non.
Et quand tu as beaucoup bossé sur un sujet, j'imagine que ça doit faire un peu mal au cul que ton article que tu trouves tout beau et sur lequel tu as passé beaucoup de temps soit supprimé.En février de cette année, le sujet me semblait limite admissible.
Pourquoi limite ?
Car j'avais une source centrée sur le sujet d'une certaine année, une ou deux autres vagues sources d'une autre année, et ça s'arrêtait à peu près là (même après plusieurs pages de résultats Google). Pas terrible non plus. J'aurais préféré plusieurs sources par an sur le sujet, qui me permettraient d'être absolument catégorique sur l'admissibilité - et accessoirement, pouvoir créer du contenu et pas une coquille qui te laisse sur ta faim. Les autres utilisations du terme grossophobie restaient cantonnées à des milieux « confidentiels » qui ne faisaient pas de bonne sources (des forums, des blogs...) pour Wikipédia.
Coup de pot, en juin, le livre On ne naît pas grosse de Gabrielle Deydier paraît. Il fait le buzz. D'un coup, c'est l'avalanche d'articles journalistiques sur la grossophobie, les médias semblent découvrir le phénomène.Dans mon cerveau : Super.
Les sources en français se sont considérablement empilées en l'espace de quelques semaines. Plutôt redondantes, mais avec les quelques unes que j'avais consultées en début d'année, c'était susceptible de le faire.
Avalanche de sources.Étape n° 2 : Se lancer.
J'ai donc commencé au début du mois d'août un brouillon dans mon « espace personnel », afin de pouvoir prendre le temps de créer l'article sans qu'il soit modifié.
Il a vite eu un plan (c'est quand même le plus important le plan), il s'est petit à petit étoffé, un coup par ci, un ajout par là, ah non ça ça va pas, ça ça a mieux sa place là, j'ai arrêté un peu (je suis partie changer d'air), je suis revenue, j'ai un peu repris. J'ai rapidement épuisé les sources en français (oui, en France, on n'est pas très bavards sur les discriminations envers les gros, ça semble un peu tabou). Pendant plusieurs jours, j'ai eu je sais pas combien d'onglets ouverts dans deux navigateurs différents pour pouvoir avoir deux espaces différenciés (une sur la grossophobie, un sur tout le reste). Mais mon ordi m'a dit merde « faut m'éteindre je m'essouffle me laisse pas que en veiiiiiille » alors j'ai tout mis dans des favoris (ce qui est débile parce que je ne me sers jamais des favoris, seulement de la barre d'adresse). J'en faisais un peu tous les jours, ou tous les deux jours, des fois j'ai laissé en plan parce que j'en avais marre parce que j'arrivais pas à un résultat assez satisfaisant, puis j'ai repris, avant de saturer à nouveau parce que le résultat arrivait pas à atteindre ce que je voulais.J'ai trouvé un peu d'aide pour m'orienter vers la bonne traduction en anglais et trouver de la « vraie » littérature à ce sujet (scientific papers, you know what I mean toussa toussa). J'ai lu environ trois articles sur le weight stigma (stigmatisation basée sur le poids). Vous pouvez trouver ça ridicule (trois, c'est pas beaucoup), mais c'est particulièrement absorbant à lire (surtout quand ce n'est pas dans votre langue maternelle, et que pour éviter toute mauvaise interprétation il est préférable d'être bien concentrée). C'était loooooong, parce que j'étais pas trop motivée et en état d'être absorbée sur une tache pendant longtemps. Surtout quand tu sais que de manière générale, tu as beaucoup de difficulté à te plonger dans un truc à faire, mais qu'une fois que tu es dedans, tu sais juste plus t'arrêter tellement t'es absorbée... c'est un frein non négligeable à se lancer dans un truc, même dans un truc qui nous fait très envie.
De temps en temps, vu que ça s'éternisait quand même pas mal, j'ai été un peu pressée de le publier.
Mais c'était juste pas possible : non, c'est mal écrit là, c'est incomplet ici, tel aspect n'est pas encore traité. Quand même. Faut un minimum**.
Une fois le minimum assurée, j'ai tellement saturé que j'ai presque commencé à ma lasser. Vraiment. Le prendre en grippe. Quand tu prends un article en grippe, c'est pas bon, vaut mieux le lâcher plutôt que s'énerver gratuitement dessus et faire du mauvais job.J'ai donc décidé presque du jour au lendemain de lâcher mon bébé cet article, pour qu'il soit renommé afin d'être publié dans l'espace encyclopédique (alors qu'avant, seules les personnes sachant où c'était l'auraient trouvé). Non pas avant d'avoir fait frénétiquement quelques modifications avant de le lâcher et de le laisser voler de ses propres ailes octets.
En le laissant à de nouvelles mains, qui, j'espère vraiment, sauront le faire grandir et l'améliorer avec autant d'attention que je ne l'ai fait***.
Étape n°3 : faire le constat.
De tous les articles que j'ai créés, c'était de loin le plus difficile à écrire.
Pas en raison de l'impact du sujet (j'ai la charge émotionnelle d'une petite cuillère quand j'écris sur WP), mais parce que les contours du sujet sont extrêmement difficiles à délimiter. La littérature en français est extrêmement rare à ce sujet. Le terme de grossophobie est utilisé pour la première fois dans cette langue en 1994, et par la suite, il semble principalement réservé à des milieux militants, par définition assez confidentiels du grand public. La preuve, seule une thèse (de droit !) en parle, quelques vagues articles de journaux, peu approfondis sur le phénomène, sans définition exhaustive, et c'est tout. De l'importance de se tourner vers l'anglais.Le sujet est par conséquent très vaste. En effet, j'ai rapidement eu l'impression que le sujet aurait pu être étendu à plusieurs autres articles car la grossophobie semble ainsi recouvrir :
- la perception et l'image des personnes grosses / en surpoids / obèses dans la société (au sens large, donc les stéréotypes, les préjugés, les traits de caractères associés)
- la stigmatisation des personnes grosses / en surpoids / obèses
- les inégalités subies par les personnes grosses / en surpoids / obèses (précarité, prise en charge différenciée pour ne citer que ceux-là).
Autant d'articles qui pourraient, je pense, être admissibles (avis aux amateurs / amatrices). Les sources (en anglais) abondent sur le sujet.Une autre chose délicate est également qu'on a vite fait de tirer ses propres conclusions, et d'aller « au delà » des sources, là où les sources sont bien plus prudentes. C'est aussi ça qui en grande partie a rendu l'écriture difficile : vérifier, et vérifier encore qu'on colle et qu'on est en train de respecter la source, qu'on n'a pas appliqué sa propre logique.
Bref, écrire un tel article, totalement nouveau, sur un thème sociétal, qui plus est traité dans l'actualité, est véritablement un travail de précision et de longue haleine...
Écrire sur Wikipédia à propos d'un sujet sociétal et d'actualité (allégorie)------
* Message : laissons les gros.se.s en paix.
** J'écris pas non plus sur Wikipedia pour gerber à la face du monde :-P
*** Je vous jure que quand on passé autant de temps sur un truc pareil, on s'y attache. Vraiment.
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Par -Anne- le 24 Juillet 2017 à 12:00
Parce qu'en écrivant et relisant mon dernier billet, cela m'a évoqué certaines lectures, les voici :
-Wikipédia:Contributeurs autistes sur Wikipédia
Cette page est un essai, rédigé par Tsaag Valren, qui a contribué à écrire de nombreux articles labellisés sur les races de chevaux et la mythologie, dont elle est spécialiste, ainsi que la thématique de l'autisme sur Wikipédia. Cet essai présente les particularités propres aux personnes autistes, recense diverses caractéristiques de Wikipédia qui pourraient rendre attrayant ce projet à leurs yeux, mais aussi ce qu'elles peuvent apporter de spécifique à Wikipédia (et réciproquement). Et surtout, quelques contributeurs et contributrices concerné.e.s ont également apporté leur témoignage à propos de leur expérience sur le projet.
Il s'agit d'un billet rédigé par Guillaume Paumier en 2009, billet qui a depuis été traduit en plusieurs langues et qui est à l'origine de la conférence éponyme qu'il a donné à Wikimania en 2015. L'auteur aborde la manière dont son fonctionnement a certainement influencé son approche des projets Wikimedia, principalement sous l'angle de la communication et de ses expériences.
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Par -Anne- le 20 Juillet 2017 à 01:18
Une des questions que je me pose depuis quelques temps par rapport à Wikipédia et mon expérience de contributeur, c’est : pourquoi ?
Nan, sérieusement, pourquoi passer du temps à un truc totalement virtuel, financièrement non rémunérateur, avec au final peu si ce n'est aucune reconnaissance ? Spoiler pour couper court à cette interrogation : je sais pas trop, si ce n’est que, me concernant, c’est assez addictif et fort plaisant malgré tout.(pour comprendre le pourquoi de ce dodo, consulter ce billet, paragraphe Totem)
J’ai commencé à contribuer à Wikipédia en 2009, j’avais donc 14 ans (et demi, soyons généreux). Aujourd’hui, j’en ai 22 (et demi, idem). Et j’y suis toujours. Pire : pour moi, Wikipédia est sans conteste une expérience assez importante dans ma courte vie.
Une question annexe que je me pose encore plus souvent depuis quelques temps, c’est : est-ce que j’ai apprécié commencé à contribuer à Wikipédia parce que cela faisait écho à des choses qui me plaisaient déjà, à des traits de ma personnalité, à mes habitudes, à ma manière de voir ou de faire les choses, ou est-ce le fait de participer à Wikipédia qui a forgé la personne que je suis et influencé certains de mes traits actuels ?
(l’œuf ou la poule, en gros)
Ce dont je peux être certaine, c’est que désormais, je retrouve certaines caractéristiques de ma personnalité en Wikipédia, et des caractéristiques « wikipédiennes » en moi.
J’aime les plans. J’ai toujours aimé les plans. Les progressions logiques dans les discours, dans les exposés, voire, plus vital, dans mes cours[1]. Quitte à réécrire entièrement un cours magistral d’université pour aboutir à un résultat satisfaisant, c’est-à-dire, avec un « vrai » plan, avec des ensembles d’informations cohérentes, et pas jetées dans le désordre au petit bonheur la chance, quitte à y passer des heures. Quitte à frôler la crise de nerfs parce que tel ou tel esprit désorganisé rendait son cours absolument imbitable.
J’aime les choses carrées. Définies. Je suis une accro des définitions – mes camarades pouvaient anticiper mes crispations en cours en constatant l’absence de définition des termes abordés. J’aime la précision. J’aime chercher, creuser, avoir une vue d’ensemble, savoir pourquoi c’est vrai. Je peux me prendre de passion pour un truc absolument insignifiant et me mettre à compiler compulsivement des informations sur cette chose (et me perdre ainsi dans les tréfonds de l’internet...). J’aime les détails (on dit que le diable est dans les détails, mais en fait, pas de panique, c’est juste moi).
(image de droite : le petit carnet dans lequel, entre autres, je classe d'un côté les articles que je crée et de l'autre ce que j'aimerais améliorer)
J’aime les choses qui se répètent. J’aime avoir un cadre un peu rassurant et prévisible, avoir certains automatismes. J’aime les protocoles, j’aime pouvoir anticiper – ou, avoir suffisamment anticipé le reste pour pouvoir gérer un évènement imprévu. Quand quelque chose ne tourne pas il devrait, il est toujours rassurant de pouvoir retourner à une occupation apaisante ensuite – mieux, qui n’aura jamais de fin.
J’aime travailler et faire les choses dans mon coin. Si je peux éviter de rencontrer des gens ou d’interagir avec eux, je l’évite. J’aime ma tranquillité quand je travaille. Je suis un rat de bibliothèque ou de laboratoire plutôt solitaire. Je n’aime pas les « parasites » qui blablatent de la meilleure manière de faire pendant des heures sans avancer ou qui critiquent gratuitement ton travail de manière non-constructive, pour finalement soit te rendre leur part du travail d’une qualité déplorable ou, au mieux, t’abandonner au dernier moment (#vécu). Travailler seul.e est en quelque sorte, à mes yeux, un gage de sécurité et de tranquillité. Un moyen aussi de n’être redevable à personne – que ce soit pour un bon ou un mauvais travail. Alors certes, Wikipédia est un projet collaboratif ! Mais la différence réside dans le fait qu’il n’y a pas d’interaction sociale IRL, qu’une éventuelle collaboration se produit par écrit, et qu’il n’y a pas d’enjeu : pas de note, pas d’obligation de résultat. De plus, autant certains sujets sont assez « électriques » sur Wikipédia (je pense par exemple à la politique et certains sujets de société), autant d’autres sujets (qui se trouvent être souvent ceux qui m’intéressent et ceux sur lesquels je contribue) sont extrêmement tranquilles, quand ils ne sont pas désertés. Il est alors aisé de n’être qu’une petite fourmi parmi d’autres.
Je suis beaucoup plus à l’aise à l’écrit qu’à l’oral. J’aime ordonner mes pensées, prendre le temps de les organiser, les rédiger de la manière la plus adéquate, fidèle et précise possible. Je n’ai aucune répartie à l’oral, sauf cas particuliers[2], bien que j’aie pourtant les idées (et vous savez, toujours ce « mais j’aurais dû dire ça… » et l’impression de passer pour quelqu’un de stupide sans aucun argument), mais l’écrit me permet d’exprimer, et dans certains cas de défendre, un point de vue, parfois le mien, avec beaucoup plus de facilité.
Dans la même optique, je préfère la raison à l’émotion. Prendre le temps de la réflexion, avoir le temps de peser les arguments lors d’une discussion, prendre du recul, éviter les réactions à chaud, étudier ses propres réactions pour aller chercher plus loin que ses propres réflexes et schémas de pensée habituels.
Alors, toutes ces caractéristiques : origine ou résultat de mon addiction wikipédienne ?
Sur Wikipédia, une certaine logique règne : quelques règles et recommandations (routine), une construction globalement similaire de l’espace encyclopédique (= les articles), plein de trucs bien rangés (catégorisation des articles, portails), la coopération passe par la discussion (écrit), il est souvent possible de faire les choses dans son petit coin sans déranger personne (tranquillité), que ce soit des broutilles (pour satisfaire son côté psychorigide) ou des plus gros trucs (se donner l’impression d’être productive ou bonne à quelque chose ?) et il est possible de satisfaire à la fois sa sérendipité tout en se disant que ce ne sera pas totalement perdu (#bonneconscience ?). Et surtout : c’est presque infini.
Il y a un côté rassurant de se dire que peu importe où, quand et presque quoi, il y aura toujours à faire et que malgré le côté mouvant de Wikipédia, se dégage une certaine fixité[3].Certaines caractéristiques étaient déjà présentes chez moi bien avant que je ne contribue à Wikipédia, clairement. Et certaines caractéristiques de Wikipédia n’étaient sans doute pas pour me déplaire.
De nos jours et au moins depuis le début de mes études, je suis extrêmement vigilante aux sources des informations. Je n’aime pas les affirmations gratuites : il me faut l’origine de l’information[4]. Il m’est assez facile de gérer une grande quantité de sources et de les exploiter pour obtenir un ensemble cohérent et organisé, logique. J’aime rédiger dans un style absolument neutre et uniquement informatif, sans laisser transparaître d’opinion personnelle, comme finalement on me l’a demandé dans la suite de mes études. Je suis intransigeante avec certaines erreurs de typographie (cachez-moi ces guillemets anglais que je ne saurais voir), les majuscules non accentuées dans les rapports (ce qui me fait pousser de grands soupirs, quand ça ne m’agace tout simplement pas) ou carrément l’abus de majuscule dans les noms. À mon grand désespoir, je me suis aussi révélée bien plus au courant en matière de législation concernant le droit d’auteurs qu’une grande partie de mes camarades durant mes études alors que tout ceci me paraissait… évident (coucou aux L1 BCG qui avaient purement et simplement copié du contenu de Wikipédia sans rien citer, ni licence ni auteurs… champions --").
Mais s’agit-il de déformation personnelle ou déformation wikipédienne ?
Personnellement, je n’en sais rien. Peut-être les deux ? Je suppose qu’il serait logique de penser que Wikipédia m’a attirée par certains de ses aspects, qui plaisaient à certaines de mes tendances (rigueur, routine, volonté d’apprendre et de comprendre ?). En retour, elle a peut-être contribué à renforcer certaines de mes tendances (importance des sources, fiabilité des informations) et sans doute à m’ouvrir à d’autres aspects (discuter et collaborer avec des gens, même virtuellement, me sensibiliser à certaines thématiques de droit, de libre). Comme une espèce de réciprocité. Certains disent de « cercle vertueux ». Oserais-je parler d’enrichissement mutuel ?
Ce qui est certain, c’est que j’ai grandi avec Wikipédia. À un moment que certains jugeront central dans mon développement et la construction de ma personnalité. Cela m’a sans aucun doute beaucoup apporté autant académiquement (qui plus est dans le cadre d’études scientifiques) que personnellement. Et malgré le côté solitaire de la contribution à Wikipédia, voire le côté originellement asocial de ma participation et mon souhait de n’en faire qu’une occupation parmi d’autres, il est amusant de constater que certaines interactions wikipédiennes virtuelles ont abouti à des échanges suivis très enrichissants, parfois à vraies rencontres, de vraies amitiés[5] ou parfois plus. Quand le virtuel atteint le réel.
Mais ceci est une autre histoire…
[1] Au cas où tu te pointerais ici pour la première fois (sait-on jamais) lecteur, sache que j’ai mis les pieds dans un établissement scolaire pour la première fois à 16 ans quand j’ai eu mon bac, en allant à la fac de Bio.
[2] Genre grosse colère ou face à une personne avec laquelle je suis assez à l’aise pour lui balancer des trucs pas agréables à la tronche #lasympathiemedécrit.
[3] Il y a un petit côté doudou…
[4] Lire l’anglais sans difficulté est un plus. Même si je ne l’ai réalisé qu’en L3. Je me suis rattrapée ensuite.
[5] Moi qui ne sais pas me faire des amis durables. Ça mérite d’être salué je trouve.
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Par -Anne- le 28 Avril 2017 à 13:29
Partie 0 - Ce qui va vous arriver
Partie 1 - Quelques prérequis pour bien poser les bases : c'est quoi Wikipédia ?
Partie 2 - Fonctionnement de Wikipédia : comment ça marche ?
Partie 3 - Fonctionnement de Wikipédia : les bases de la contribution
Partie 4 - Mais c'est qui un.e Wikipédien.ne ? Le portrait d'un.e Wikipédien.ne
Partie 5 - Mais c'est comment un.e Wikipédien.ne ? La culture wikipédienneAssocié au précédent, ce billet a pour but de montrer l'envers du décor concernant les gens qui contribuent à Wikipédia : qui sont-ils ?
Le dernier articlep présentait le profil type « dans le civil » des wikipédien.ne.s. Cependant, il s'avère que comme au sein de n'importe quelle autre communauté, la communauté wikipédienne a développé un ensemble deCertains us et coutumes sont assez répandus chez une partie des wikipédien.ne.s, sans que cela ne revêtisse un quelconque caractère obligatoire.
La PU
La PU, ou « page utilisateur » désigne la page personnelle (mais publique) dont dispose tout.e contributeur.rice enregistré.e, et où cette personne peut dire qui elle est, et y présenter quelques caractéristiques personnelles, dans la mesure de ce qu’elle souhaite dévoiler : ses centres d’intérêt (les cochons d’inde, les pâtes, l’histoire, l’Inde, l’informatique, la sarcasme…), ses compétences (en langues étrangères, dans un domaine précis…), une éventuelle appartenance ou opinion (politique, religieuse, sociale…), son ancienneté sur le projet (nouveau, ancien), son implication éventuelle sur les projets de Wikipédia auxquels elles participe...
Et pour cela, rien de tel que les boîtes utilisateurs ou « BU » : il en existe de milliers, dont la plupart sont classées ici.
Placée en dehors de l'espace encyclopédique (là où sont publiés les articles), la PU est le seul espace un peu personnalisable dont on dispose. C’est donc un endroit dont beaucoup prennent grand soin.
Les PU peuvent être très simples comme très chargées, très informatives ou beaucoup moins, certaines sont jolies, certaines sont presque poétiques, d’autres sont parfois touchantes, d’autres semblent étrangement nous ressembler, et personnellement, je me plais à croire que le style de la PU reflète un peu la personne qui l’a écrite.« Arrive-t-il parfois qu'on débarque sur la page d'un contributeur inscrit sur WP (la PU – Page d'Utilisateur – si vous préférez) et que subitement on se sente en symbiose ? Sans raison. Une illustration, quelques mots… Une émotion qui nait inopinément. Oh ! à gérer. Mais quel plaisir… »
(PU de l’utilisatrice Égoïté)En plus de l’aspect « présentation », certaines personnes décident de faire partiellement ou entièrement de leur PU un endroit plus utilitaire, en s’en servant d’aide-mémoire wikipédien et en y plaçant des raccourcis vers des pages d'aides, de modèles...
Les totems
Le totem est pour moi l’institution ultime. Bon ça tient surtout au fait que ça fait de moi un mignon dodo. Je vous explique. Le totem est une sorte de mascotte animale qui représente une « promotion » des nouveaux et nouvelles arrivant.e.s wikipédien.ne.s de l’année. Pendant plusieurs années, les totems étaient choisis parmi des espèces animales disparues. Par exemple, l’année de mon arrivée (2009), ce fut l’année des dodos (oui, je suis un FIER DODO s’il-vous-plaît), la suivante celle des grèbes roussâtres et celle d’avant des mégalocéros. Désormais, depuis 2011, la thématique est celle des créatures légendaires. Ainsi, les nouveaux et nouvelles de l’année 2016 sont des kitsune et ceux de 2015 des feux follets.
Le totem de l’année est choisi après un vote comportant plusieurs suggestions. Et parfois, les discussions peuvent être rudes ! Ainsi, certain.e.s utilisateur.ice.s n’ont pas vraiment apprécié l’adoption du dodo en 2009… en témoigne cette discussion et cette BU que certains ont apposé sur leur PU « Je ne suis PAS un dodo ». Idem pour le Glyptodon en 2007.
Le wikipédiholisme
C’est un fait : contribuer à Wikipédia est fortement addictif. Certaines personnes développent même la compteurdédite. Pire, chez d'autres, cela peut se muer en véritable obsession, le wikipédiholisme. Un test diagnostique existe.
Vous êtes atteint.e ? Pour tenter de retrouver un soupçon de vie normale, une seule solution à employer d’urgence : le Wikipatch. Il peut éviter d'être contraint.e d'opter pour le wikislow voire le wikibreak. En attendant, il reste encore la wikiprière.
Une chose importante : prenez soin de vous. Wikipédia a besoin de vous, oui, mais en forme !Les marronniers
Les espaces communautaires de discussion de Wikipédia, et en particulier son Bistro (espace central <POV>quoiqu’un peu mourant et squatté par les mêmes personnes</POV>) génère parfois des discussions dont la thématique est récurrente. Wikipédia a donc ses propres marronniers (liste non exhaustive ici).
En vrac, nous y trouvons : la féminisation des titres et des fonctions (exemple : Teresa May, Première ou Premier ministre ?), Wikidata (suppôt du mal vs. vous ne savez pas tout ce que Wikidata peut faire pour vous), la francisation des titres (« nous sommes francophooooooones » / « oui mais ce terme n’existe pas en français, alors flûte gardons le terme original et faites pas chier »), l’utilisation de caractères non latins (Tokyo ou Tōkyō ? depuis beaucoup de gens savent ce qu’est réellement un macron), le traitement des évènements de l’actualité (« trop récent, il n’y a pas de recul » / « oui mais vu l’ampleur, y en a déjà des tonnes va forcément y en avoir plus tard »), l’orthographe (avant ou après 1990 ? qui décide ? que faire quand quelqu’un décide de passer sur plein d’articles pour imposer l’un ou l’autre ?), l’accueil des nouveaux (« il faut prendre soin des nouveaux, ne pas leur laisser de message froid ou agressif » / « c’est une perte de temps, qu’ils commencent par faire plus d’efforts »), les contributions rémunérées (rares mais existantes, notamment quand des personnes payées par des entreprises interviennent sur des articles pour les « améliorer » à leur façon hum, hum…), faut-il parler de décès ou de mort d’une personne, convient-il de placer des avertissements de type spoiler dans les articles concernant des romans / films (« on ne va pas dévoiler l'intrigue à ceux qui n'ont pas encore vu le dernier épisode de Game of Thrones ! » / « non mais on va pas mettre un spoiler à Titanic ! ») ?…
Ils ne reviennent pas tout le temps, mais il existe tout de même une certaine régularité. Des camps se forment parfois d’un côté ou de l’autre. Avec l’expérience, croyez-moi, on peut flairer qu’une simple question portant sur un sujet précis va très potentiellement se transformer en marronnier, et prendre des lignes et des lignes et des liiiignes de discussion... pour rien au final, puisque chacun.e restera campé.e sur ses positions et qu’aucun consensus ne sera trouvé. À celles et ceux qui ne veulent pas perdre de temps de s’en tenir éloigné.e… mais c'est fort amusant à voir de loin.
Le wikilove, bordel !
Le wikilove fait partie des recommandations associées au principe fondateur de savoir-vivre, et c'est une formule destinée à rappeler qu'il faut privilégier la discussion et la bienveillance au conflit stérile. L'application du wikilove inclut la cordialité, le fait de préférer la discussion et la négociation, de supposer la bonne foi, de s’abstenir de proférer des attaques personnelles, d'accueillir les nouveaux et nouvelles...
Bref : le wikilove est une expression censée refléter l’esprit et l’attitude positifs que devraient adopter tous les contributeurs et contributrices pour faire avancer Wikipédia et en faire un endroit accueillant et ouvert.
Les cabales et les wikirencontres
Des rencontres plus ou moins régulières ont parfois lieu IRL (in real life = dans la vraie vie) entre contributeurs et contributrices. Elles ont souvent lieu entre personnes de la même ville ou de la même région. C’est l’occasion de discuter Wikipédia (et des autres projets Wikimedia), d’organiser des évènements comme des ateliers de contribution et de formation, des Wikipermanences (voir plus loin), des sorties photo etc.
Les rassemblements informels de wikipédien.ne.s d’une même région sont généralement dénommés cabales. La plus historique est sans doute la non-cabale de l’Ouest (NCO) dont la mascotte n’est autre que sa célèbre hermine qui dispose de son propre compte Twitter. Mais il existe aussi la Cabale à la noix (Grenoble), la Cabale camembière (Toulouse), la Cubale (Bordeaux)…
Des rassemblements de plus grande envergure ont également lieu : il s’agit de la Wikimania, annuelle, et de la Wikiconvention francophone.
La première rassemble des wikimédien.ne.s du monde entier ; en 2017, elle aura lieu à Montréal. La Wikiconvention francophone rassemble des wikimédien.ne.s francophones (surpriiise), et est un tout jeune évènement, puisque sa première édition a eu lieu l’année dernière à Paris, et que cette année elle aura lieu à Strasbourg. Ces rencontres ne concernent pas uniquement le projet Wikipedia, mais l’ensemble des projets Wikimedia (incluant Wikisource, Wikiquote, Wikimedia Commons, etc.). Ça fait du monde il paraît.D’autres rassemblement visent à faire découvrir Wikipédia à de nouvelles personnes (i.e. trouver de la chair fraîche pour contribuer :P) ou des curieux.ses. Cela passe par exemple par des « Wikipermanences », c’est-à-dire des ateliers de formation à la contribution plus ou moins réguliers dans certaines villes (il y en a à Rennes chaque semaine à la bibliothèque des Champs-Libres par exemple, mais aussi dans d’autres villes), et encadrés par des wikipédien.ne.s volontaires et bénévoles. Des ateliers de contributions plus ponctuels et parfois thématiques ont aussi lieu, comme par exemple les éditathons (je vous ai parlé des édithatons ? de edit et marathon, les marathons d’éditions) où les nouveaux et nouvelles sont formé.e.s sur place.
Bon. Mais avec tout ça, je n'ai toujours pas répondu à la question de départ.
Et pourquoi ces personnes-là contribuent ? Pourquoi ont-elles commencé ?
Tout ça pour en arriver au fait que... il n'y a pas de réponse.
Parce que, c’est un grand mystère. Je ne sais pas si beaucoup de wikipédien.ne.s qui contribuent régulièrement seraient capables de dire comment ils et elles sont tombé.e.s dans la marmite.
Par curiosité ? Par jeu ? Par « altruisme » (pour moi l’altruisme n’existe pas, ce qui mériterait un billet), pour partager de la connaissance ? Par ennui IRL ? Par envie de reconnaissance, au moins de la communauté?Il y a aussi une grande différence entre « commencer à contribuer », période d’essais souvent cruciale pour le ou la nouveau ou nouvelle, et contribuer « sur le long terme », voire faire davantage que contribuer en s'investissant IRL. Une chose est certaine : pour un certain nombre de gens, participer à Wikipédia constitue un loisir addictif, et c'en est parfois même le premier loisir.
Mais justement, quelles sont les motivations à passer une partie de son temps libre à une activité non rémunératrice, parfois très chronophage, avec peu de reconnaissance à la clé (puisque la plupart des personnes utilisent un pseudo) de la part des lecteurs ?
En 2007, une étude a ainsi montré que la première raison invoquée pour justifier sa participation à Wikipédia était le « fun ». Oui, oui, le fun. Venaient ensuite l’idéologie (la connaissance doit être librement accessible) puis les valeurs (volonté d’aider les autres). Après, les études sont encore peu nombreuses, et c’est encore un aspect des wikipédien.ne.s à creuser dans le futur.Pour ma part, je serais bien incapable de dire ce qui m'y a poussé (la curiosité de savoir comment ça marchait ? tromper l'ennui ?) et encore moins ce qui me fait rester année après année... La facilité d'avoir une occupation accessible ? de pouvoir lire, écrire ou corriger et apprendre des choses sur des thèmes qui me plaisent ? la dimension à la fois sociale mais aussi la possibilité d'y contribuer de manière solitaire ? le fait d'y avoir noué des liens sociaux durables et en lien avec Wikipédia ensuite ? l'ironique satisfaction d'avoir créé un article au nom bizarre, Trou-aux-Biches, comme 50ème article, d'avoir rédigé plus de la moitié de l'article consacré à l'étourneau sansonnet, des articles manquants sur une thématique que quasiment personne ne lira non plus, de constater que la toute petite ébauche de foyer de peuplement rédigée le 11 décembre 2009 est depuis devenu un « vrai » article grâce à l'action d'un autre contributeur ? de connaître un bled qui s'appelle Trouy ? de comprendre automatiquement la référence lorsque l'on voit une pancarte [citation needed] ?
Il serait aussi intéressant sans doute d'observer ce que participer à Wikipédia peut apporter. Je serais bien en peine de mettre ça au clair tout de suite, mais je vois déjà plusieurs pistes possibles, comme la recherche systématique de sources, la recherche d'une typographie correcte, l'organisation des idées, la discussion... Après, à savoir si des traits personnels ont facilité mon adhésion ou si c'est Wikipédia qui les a développés... cela reste à démêler. Mais c'est sans doute un bon sujet de réflexion...
Il y aurait encore beaucoup à dire rien que sur le fonctionnement interne de Wikipédia et je n’ai abordé tout ceci que (très) succinctement. J’étais partie pour écrire seulement un billet, en voici pas moins de cinq !
Dans tous les cas, je reste persuadée que contribuer à Wikipédia est une expérience fort enrichissante à bien de points de vue, et qu’il y a mille et une manières de contribuer comme cela nous convient le mieux. Les lecteurs et lectrices ignorent souvent ce qui se passe derrière dans les coulisses…
J’espère avoir levé une petite partie du mystère avec cette série d’articles.
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Par -Anne- le 31 Mars 2017 à 15:55
En attendant le prochain billet qui demande une petite relecture, voici de quoi faire patienter !
Wikipédia par l'anecdote : le selfie du macaque
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Par -Anne- le 19 Mars 2017 à 19:32
Partie 0 - Ce qui va vous arriver
Partie 1 - Quelques prérequis pour bien poser les bases : c'est quoi Wikipédia ?
Partie 2 - Fonctionnement de Wikipédia : comment ça marche ?
Partie 3 - Fonctionnement de Wikipédia : les bases de la contribution
Partie 4 - Mais c'est qui un.e Wikipédien.ne ? Le portrait d'un.e Wikipédien.ne
Partie 5 - Mais c'est comment un.e Wikipédien.ne ? La culture wikipédienneBon, tout ça c’est bien joli, ça reste quand même (un peu) technique. Ça manque d'humain tout ça.
Mais en vrai, c’est quoi, c’est qui un.e wikipédien.ne ?
Genre, c’est une espèce rare (plutôt oui) ? Ça se croise dans la rue (oui) ? Ça vit de jour (peu), de nuit (pas mal), dans une zone géographique particulière (oui, avec accès internet) ? Est-ce que c’est grégaire (pas trop), y a-t-il des migrations saisonnières (ça arrive) ? Quelle est la culture qui lui est associée ? Et surtout : quelle est son origine ?Vaste question.
{{Voix masculine de documentaire}}
Décrivons tout d’abord le portrait-robot d’un.e contributeur.rice, et dans le billet suivant, nous nous attacherons à décrire ses mœurs, principalement tout ce qui touche à l'aspect culturel.
Profil
Le.a wikipédien.ne est une espèce que l’on pourrait qualifier, sans trop de risques, de peu commune et globalement assez discrète. Par exemple, le nombre de wikipédien.ne.s qui avaient réalisé plus de 5 modifications sur la version francophone en décembre s'élevait à 4840 personnes environ. Dans le civil, certain.e.s ont comme hobby de faire du poney, de jouer au tennis ou aux jeux vidéos, de manger du fromage, de traîner dans les musées ou de programmer des trucs (il paraît). D'autres (ou ceux-là et celles-là même des fois) contribuent à Wikipédia (dans l'ombre) (ou la lumière des fois) (ça dépend) parfois sans que personne de leur entourage (quand ils et elles en ont un) ne soit au courant.
Contrairement à Obélix, le.a wikipédien.ne ignore cependant souvent comment lui est arrivé ce coup du sort et comment il ou elle est passé.e de ce côté obscur. Mais le.a wikipédien.ne a avant tout été un.e lecteur.rice de l’encyclopédie : environ 6 % des personnes consultant Wikipédia y contribuent également.
Quelques rares études ont également un peu creusé le sujet.
Le profil type du / de la wikipédien.ne est ainsi plutôt une personne masculine âgée entre 20 et 30 ans, plutôt diplômée, de classe cadre. Selon une enquête menée en 2011 sur la base du volontariat et auprès de différentes versions linguistiques, l’âge moyen des wikipédien.ne.s est de 26,14 ans et ils et elles sont majoritairement diplômé.e.s de l’enseignement secondaire (~ 33 %), d’une Licence ou équivalent (25 %) ou d’un Master ou équivalent (18 %). Cependant, les profils et les expériences sont très variés.L’un des traits les plus marquants est que la communauté wikipédienne est très majoritairement composée d’hommes. Ainsi, selon la même étude de 2011, 86 % des contributeur.rice.s étaient des hommes et 12 % des femmes*. La même année, une étude de la communauté francophone a montré que 80 % des contributeur.rice.s étaient en fait des contributeurs. Les différentes études s’accordent sur un pourcentage de femmes contributrices compris entre 8 et 16 %. Cet écart, pour le moins énorme, entre le nombre de contributeurs et de contributrices fait l’objet d’un questionnement, et on parle désormais de gender gap (fossé de genre ou « biais de genre »). À tel point que le sujet est devenu connu et dispose désormais de son propre article, intitulé Biais de genre sur Wikipédia.
À ceci s'ajoute le fait que le « wikipédien type » du coup, s'avère également être blanc et hétérosexuel*.Cherchez la femme !
Pour en rester au gender gap cependant, cette disparité entre nombre de contributeur.rice.s masculins et féminin.e.s est souvent mise en lien avec le fait que les sujets traitant des femmes sont moins abordés ou moins développés dans l’encyclopédie. Par exemple, en 2016, la Wikipédia francophone comptait 450 000 biographies d'hommes et seulement 75 000 biographies de femmes (soit 14,3 % de biographies traitant de femmes).
Malgré tout, à titre personnel (oui, là, mon point de vue entre ouvertement en scène), je ne suis pas convaincue que ce soit la présence minoritaire de femmes contributrices qui entraîne une différence de traitement entre les sujets.
Cela sous-entendrait donc que les femmes auraient davantage tendance à traiter de sujets sur les femmes (et donc les hommes à traiter des sujets sur les hommes) ?... Je trouve personnellement ce point de vue assez réducteur... voire renforçateur de stéréotypes. D’autant plus que tout le monde n’aime pas travailler sur des biographies et que le principe de Wikipédia est de contribuer selon nos intérêts.
Je pense néanmoins que cette différence de traitement entre les sujets est du moins, en partie, à rapprocher de la différence retrouvée IRL (in real life, dans la vie réelle). Quel est le pourcentage d’hommes célèbres traités et étudiés dans les manuels scolaires, les ouvrages de référence (= les sources), les documentaires, par rapport au pourcentage de femmes ? Tout le monde connaît Blaise Pascal, Louis Pasteur, Darwin, Benjamin Franklin pour ne citer que des scientifiques (oui, je justifie avec mon domaine de compétences), beaucoup moins de gens connaissent Ada Lovelace (inventrice du premier algorithme), Elizabeth Blackwell (première femme médecin au Royaume-Uni), Nettie Stevens (découvreuse des chromosomes X et Y), Virginia Apgar (inventrice du score de Apgar, calculé pour tous les nouveau-nés) ou Rosalind Franklin (biologiste qui a participé à la découverte de la structure de l’ADN et dont seuls les 3 collègues hommes ont obtenu le prix Nobel). Il existe de nombreuses femmes d’importance certaine (largement admissibles du point de vue des critères d'admissibilité - voir billet précédent), mais elles sont beaucoup moins mises en lumière, et de ce fait, on en parle (et on les connaît) beaucoup moins.
Bref, je pense que cet écart entre le nombre de biographies de femmes et le nombre de biographies d’hommes est principalement à rapprocher du traitement différencié que les femmes ont subi dans l’Histoire (souvent éclipsées au profit de personnalités masculines), puis dans les recherches de cette discipline (se basant elles-mêmes sur des sources potentiellement biaisées), plutôt qu’à l’absence d’un nombre suffisant de femmes contributrices…
De plus, l'excuse du moins bon traitement des sujets étiquetés « féminins » comme résultat de la présence insuffisante de contributrices ne serait-elle pas une nouvelle excuse pour en rejeter la responsabilité sur le dos des femmes :/ ?Dans tous les cas, le biais de genre concerne à la fois la quantité de femmes contributrices et la couverture des sujets liés aux femmes (ou étiquetés comme tels), notamment les biographies, sur l’encyclopédie. Cependant, pour ce billet, c’est surtout du premier aspect dont je veux parler : la présence très minoritaire de femmes sur le projets.
Mais pourquoi aussi peu de contributrices ?
Cette disparité extrême entre nombre de contributeurs et de contributrices a ainsi été ouvertement reconnue par la Wikimedia Foundation comme étant un important problème.
Plusieurs raisons sont avancées, dont les neuf suivantes par Sue Gardner qui a été la directrice exécutive de la Wikimedia Foundation :- La froideur de l’interface, qui ne serait pas assez « user-friendly » (les modifications étant de facto réservée aux « geeks » ; désormais, un éditeur visuel permet de modifier les pages d’une manière similaire à un logiciel de traitement de texte. Les pages de discussion ont été jugées peu attirantes sinon carrément intimidantes par une linguiste américaine)
- Le manque de temps libre (les femmes étant toujours plus occupées par les tâches domestiques que les hommes, la double journée etc.)
- Le manque de confiance en soi (les femmes ayant tendance à moins s’affirmer et étant davantage éduquées à écouter qu’à se faire écouter)
- L’aversion du conflit (sur certains sujets, des discussions peuvent parfois être houleuses, des « guerres d’édition » peuvent survenir, une minorité de contributeurs étant souvent impliquée)
- La crainte de voir ses modifications annulées ou supprimées
- L’atmosphère globale qui serait jugée sexiste (certaines marques d’« humour » sur les pages communautaires ou personnelles par exemple)
- Le caractère « sexué » de la culture wikipédienne (pendant longtemps, les administrateur.ice.s étaient représenté.e.s comme des personnages féminins tirés de mangas en tenue de soubrette par exemple)
- Le fait d’être désigné par le terme d’utilisateur au lieu d’« utilisatrice » quand la langue marque le genre grammatical qui peut être perçu comme dérangeant
- L’absence de relation sociale « réelle » au sein d’un espace bienveillant
Après, il est probable certaines raisons ne sont probablement pas uniquement spécifiques aux femmes (ex. l’aversion pour les situations conflictuelles), mais qu’elles peuvent dans une grande majorité leur être appliquées. On peut remarquer que beaucoup des traits soulevés renvoient à la manière dont les filles sont éduquées : durant leur enfance, on remarque que les garçons et les filles ne sont pas considérés ou socialisés de la même manière, et ce, dès la naissance, sur le critère de leur sexe anatomique. L’acquisition des normes sociales, ou des « comportements socialement attendus » est progressive et très précoce. Dès l’âge de 2 ou 3 ans, des enfants sont « capables » de déterminer si tel ou tel objet est un item « de fille » ou « de garçon ». On aboutit peu à peu à l’association de la douceur, de la sensibilité, de l’écoute à un tempérament « féminin » alors que la compétition, la domination et le pouvoir seront associés au tempérament « masculin ». Dès lors que de telles différences sont socialement construites et établies, il est compréhensible qu’un un milieu « masculin » (typiquement, l’espace de contribution wikipédien, tout d’abord fondé par des chercheurs et des geeks) pourra sembler inhospitalier pour quelqu’un ayant été éduqué pour répondre à un tempérament « féminin ».
Tout ceci n’est certes que général et ne démontre que des tendances (mais des tendances scientifiquement établies : traitements différents entre genres sur la base du sexe anatomique présumé, socialisation différenciée, associations de caractéristiques différentes sur la base du genre…). Il ne faut pas non plus oublier que les contributrices ne sont pas totalement inexistantes sur Wikipédia, que beaucoup s'y plaisent aussi, et que tous les espaces d'échange ne sont pas particulièrement inhospitaliers – loin de là. Mais peut-être qu’effectivement, pour toutes ou une partie de ces raisons, Wikipédia est peut-être un peu moins attirante ou attrayante pour le commun des mortelles que pour le commun des mortels.
OK et après ?
On pourrait très bien se dire qu'après tout, si les femmes préfèrent ne pas contribuer, tant pis ou tant mieux pour elles après tout. Cependant, leur absence ne risque-t-elle pas de biaiser une partie du contenu ? Tout comme l'absence d'autres groupes sociaux ? Car en effet, ce problème de diversité n'est pas propre à la question de genre ; l'encyclopédie a également le défaut d'être particulièrement occidento-centrée par exemple... parce qu'elle est principalement rédigée par des personnes occidentales, certes en toute bonne foi. De le même manière, même en dehors de toute démarche militante, n'y a-t-il pas une espèce de « risque » de biais similaire à cause non pas des origines mais du genre des contributeur.rice.s ?
Dans tous les cas, des actions sont mises en place pour augmenter le nombre de contributrices sur Wikipédia, et d’autres initiatives ont aussi lieu pour augmenter la « couverture » de sujets liés aux femmes, c’est-à-dire le nombre et le développement d’articles traitant de thématiques concernant les femmes dans l’encyclopédie.
Des édit-a-thons (marathon d’édition, de edit et marathon) sont ainsi ponctuellement organisés. Ces journées ou moments contributifs sont ouvertes aux contributeur.rice.s d’un jour, formé.e.s sur place par des bénévoles, comme aux nouveaux et nouvelles wikipédien.ne.s et « anciens ». Par exemple, ces édit-a-thon peuvent traiter de femmes scientifiques (Projet:Femmes de science), de féminisme (Art+Féminisme, chaque année au début du mois de mars dans plusieurs villes du monde), de minorités (Projet:Mémoires minoritaires)… Ils ne sont pas tous réservés à la thématique des femmes mais certaines manifestations leur sont dédiées.
Des projets permanents existent également, principalement dédiés à l'amélioration du contenu de Wikipédia et pas nécessairement centrés sur la formation des nouveaux et nouvelles. Sur la version francophone de Wikpédia, existent le projet des Sans PagEs, qui a pour objectif d’augmenter le nombre de biographies consacrées aux femmes, ainsi qu’une partie du Projet:Suisse consacré aux bio de femmes suisses, les ateliers Femmes et Féminisme à Nantes, le projet Wiki loves Women... Sur la version anglophone, très active sur le sujet (du moins c’est mon impression), on trouvera plusieurs Wikiprojects dont Women in Red (logo ci-contre), ainsi que des mois ou des semaines d’éditions thématiques pour les personnes volontaires, comme récemment le Translate-a-thon consistant à traduire dans le plus de langues possibles 16 biographies de femmes africaines.
Dans tous les cas, ces projets s’attachent à faire passer la contribution à Wikipédia pour un plaisir dans une ambiance bienveillante (car oui, Wikipédia n'est pas uniquement un champ de bataille où il faut jouer de poings, loin de là !). Des ateliers ont aussi lieu dans diverses villes francophones : quelque soit votre genre, fille, garçon ou autre, renseignez-vous auprès de chez vous si vous êtes proche d’une grande ville et d'une WikiPermanence !
Et pour revenir à notre série de billets, le.a wikipédien.ne se distingue également des autres terriens par ses mœurs, sa culture particulière et ses coutumes, détaillées dans le billet suivant.
*Cet aspect n'est pas développé ici, car il mériterait un billet (ou plusieurs) à lui tout seul, mais le profil-type plutôt homogène, appartenant à des groupes sociaux « valorisés » ou « dominants » (ni minoritaires, ni marginalisés) peut influencer la vision des choses et biaiser le traitement de certains sujets. Par exemple, il est courant que certaines personnes ne s'aperçoivent pas de certains comportements problématiques faute d'être concerné.e ou sensibilisé.e. Ce peut être le cas notamment dans certaines problématiques liées au racisme, au sexisme, à l'homo/bi/transphobie etc. Ce peut également arriver quand un point de vue uniquement « hétérocentré » est abordé dans l'article, invisibilisant ainsi les autres perspectives qui sont peu ou pas abordées, alors qu'elles le mériteraient pour avoir un contenu exhaustif et pertinent.
Crédits images :
Puisque ça n'a pas l'air de marcher dans les infobulles...
- "Amélioration de l'ergonomie", Ironie, Licence CC BY-NC-ND
- "We can [edit]!", Jim Howard Miller (affiche originale) et Tom Morris (modification), domaine public (il me semble bien)
- Logo Wiki Loves Women, Thandiwe Tshabalala, licence CC BY-SA
- Logo Women in Red, Bubinator, Liftarn, Nevit, domaine public.
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